Assuérus roi de 127 provinces « C’était du temps d’Assuérus, de cet Assuérus qui régnait depuis l’Inde jusqu’à l’Éthiopie sur cent vingt-sept provinces » (Rouleau d’Esther 1;1)

Le congrès

À peine assis sur le trône, le roi Assuérus (Xerxès 1er) dut s’appliquer à faire taire les deux révoltes qui menaçaient déjà l’empire. La première en  Égypte et la seconde en Babylonie. Une fois ces révoltes maitrisées, il s’attaqua à stabiliser l’empire qui s’étendait sur toute la partie orientale du globe. Il lui fallut trois années pour réussir à siéger tranquillement sur son trône, depuis Suse la capitale.

Des messagers de tout l’empire vinrent rapporter au roi ce qu’il se passait en Judée. Ils témoignèrent du mécontentement des Samaritains face aux exilés de Babylone retournés sur leurs terres après le décret de Cyrus. Assuérus décida, à ces dires, de rétablir l’ordre en ordonnant de faire cesser les travaux de construction du Temple au D.ieu d’Israël.

Le roi voulut prouver à ses sujets qu’il était fort, qu’il dirigeait l’empire d’une main de maître, qu’il était le digne héritier de son père Darius. Il semblerait que cette décision n’était toutefois pas suffisante, il en voulut davantage. Il envisagea donc de reprendre rapidement le projet d’invasion de son père. Pour lancer son projet d’invasion à grande échelle, il décida de lancer une circonscription et sollicita pour ce faire, tous ses sujets.

Assuérus (Xerxès 1er) organisa un congrès sous forme d’un gigantesque banquet, où tous les princes, les ministres, les gouverneurs de ses provinces, les commandants des armées de Perse et de Mèdes étaient conviés. Le roi leur montra la splendide richesse de son royaume et l’éclatante magnificence de sa grandeur et de sa puissance durant cent quatre-vingts jours. Le but était simple, Assuérus (Xerxès 1er) voulut s’assurer de leur loyauté et de leur fidélité pour créer une coalition qui partirait en guerre, afin de rattacher de nouveaux pays à son royaume. C’est ainsi que toutes les délégations diplomatiques de ces provinces, accompagnées de leurs chefs militaires  furent reçues à Suse. 

 Le roi lui-même apparaissait devant chaque délégation, vêtu des habits sacerdotaux des juifs, volés et récupérés lors du pillage du Temple. 

Il exhiba les réserves d’armes de son armée et sa puissance militaire. Tout était organisé de façon à ce que chaque délégation se rallie entièrement à sa cause et accepte l’alliance du roi pour le bien des nouvelles conquêtes de l’empire. Toute la capitale de Suse était impliquée afin d’assurer que les invités reçoivent les meilleurs services. Suse était remplie de fonctionnaires qui travaillèrent sans répit durant ces six mois, selon le bon vouloir du roi afin que ce banquet soit un succès sans faille. Ce fut effectivement une réussite. Épuisée, à l’issue de cette période excessivement mondaine, après 180 jours de congrès, Suse fut enfin prête à partir en guerre.

Elle put à présent souffler et se féliciter pour son opération diplomatique de grande envergure.  Toutes les provinces du royaume s’étaient ralliées à la cause du roi. Sous peu, la Perse accompagnée de tous ses alliés unifiés sous la bannière de l’Empire des Perses et des Mèdes, partirait en guerre à la conquête de l’Occident, à la demande de leur roi le grand Assuérus (Xerxès 1er).

Le roi se montra d’ailleurs très généreux, conscient des efforts considérables de ses sujets, et du travail colossal de ses fonctionnaires, grâce auxquels il avait mené son projet à bien, il décida de les récompenser. Il organisa donc pour tout le peuple de Suse, la capitale, un festin de sept jours. Chacun de ses sujets était convié, du plus petit, au plus grand, dans le jardin de la maison royale. Des tentures blanches, vertes et bleues, étaient attachées par des cordons pourpres et de byssus à des anneaux d’argent et à des colonnes de marbre. Des lits d’or et d’argent reposaient sur un pavé de porphyre, de marbre, de nacre et de pierres noires. Il s’agissait d’un décor des mille et une nuits à couper le souffle. Le festin lui aussi était grandiose. On fit bouillir, rôtir et mijoter des aliments en très grande quantité ; on éplucha des légumes venus de tous les continents ; des kilos de  pâte furent pétris pour confectionner des pains des plus moelleux. On astiqua les ustensiles, pressa des fruits de toutes les couleurs et prépara des variétés incommensurables de jus. On sala les  poissons pour les entrées, trancha les rôtis, pluma les canards, fit dorer des moutons entiers, prépara des confitures pour le dessert et fit confire des montagnes d’agrumes. On prépara les pâtisseries les plus fines, que l’on trempa dans du miel. On servit du vin mielleux dans des vases d’or jamais encore utilisés. On apporta des trésors et des butins de guerre de la collection personnelle du roi. Parmi ceux-ci, se distinguaient les vases d’or du Temple de Jérusalem, pillés par Nabuchodonosor lors de la prise de Jérusalem. Le vin royal fut servi en abondance. La coutume des habitants de Perse voulait que chaque convive boive obligatoirement une gigantesque coupe contenant plus de deux litres de vin durant le banquet. Peu importe si quelqu’un perdait la raison, il était obligé d’en boire jusqu’à la dernière goutte. Ce banquet fit pourtant exception. Le roi Assuérus (Xerxès 1er) n’obligea personne, chacun avait le droit de boire selon sa volonté. Il ordonna à tous les gens de sa maison de se conformer au désir de chacun. Plus aucune règle n’était en vigueur durant cette semaine de festin, le seul objectif consistait à satisfaire chacun des hôtes du roi. L’ambiance se voulait familiale, bien différente du banquet des six derniers mois où le protocole et la bureaucratie prédominaient. 

La femme du roi, la reine Vashti, fille de Balthazar et petite-fille de Nabuchodonosor, organisa, elle aussi, un festin pour les femmes, dans les salons décorés de la maison royale du roi Assuérus.

Au septième jour, alors que le festin touchait à sa fin, le cœur du roi, réjoui par le vin, le poussa à prouver son statut de digne héritier du trône de l’Empire Perse, celui qui anéantit jadis l’empire Babylonien.     

Il ordonna donc à ses eunuques Memuhan, Biztha, Harbona, Bigtha, Abagtha, Zéthar et Carcas, de faire venir la reine Vashti nue, avec pour seul vêtement et ornement la couronne royale de Perse. Il souhaitait ainsi exposer la beauté de la reine aux yeux de tous, de même que la soumission de la petite-fille de Nabuchodonosor et de Babylone.

Cependant Vashti, en tant que digne héritière de sa lignée, fille du grand roi Balthazar et petite-fille du très grand roi Nabuchodonosor, ne put se laisser humilier par une telle requête. Elle n’était pas une simple roturière mais de sang royal, et accepter cette demande aurait été une humiliation pour sa lignée toute entière. Elle refusa donc l’ordre du roi au péril de sa vie. 

Le roi en fut très irrité, sa colère s’enflamma et il demanda aux sages du royaume, à ceux qui avaient la connaissance des temps et de la tradition historique des monarques, conseil pour réagir. Ainsi était la coutume chez les Perses et les Mèdes, les affaires du roi, se traitaient devant tous ceux qui connaissaient les lois et le droit.

Il avait auprès de lui les sept princes de Perse et de Mède : Carschena, Schéthar, Admatha, Tarsis, Mérès, Marsena, Memuhan, qui occupaient les places les plus importantes et les plus enviées du royaume. « Quelle loi, dit-il, faut-il appliquer à la reine Vashti, pour n’avoir point exécuté ce que le roi Assuérus (Xerxès 1er) lui a ordonné au travers des eunuques ? »

Memuhan répondit devant le roi et les princes : « Ce n’est pas seulement à l’égard du roi que la reine Vashti a mal agi ; c’est aussi envers tous les princes et tous les peuples qui sont dans toutes les provinces du roi Assuérus (Xerxès 1er). L’action de la reine parviendra à la connaissance de toutes les femmes, et les portera à considérer qu’elles peuvent agir ainsi et mépriser leurs maris.

Elles diront : « Le roi Assuérus (Xerxès 1er) avait ordonné qu’on amenât en sa présence la reine Vashti, et elle n’y alla pas. » Et dès ce jour les princesses de Perse et de Mèdes qui auront appris l’action de la reine la rapporteront à tous les chefs du roi ; et cela générera beaucoup de mépris et de colère. Si le roi le trouve bon, qu’on publie de sa part et qu’on inscrive parmi les lois de Perse et de Mèdes, une nouvelle ordonnance royale avec défense formelle de la transgresser. Compte tenu du refus de la reine Vashti, elle ne paraîtra plus devant le roi Assuérus (Xerxès 1er)  et le roi donnera la couronne à  une autre qui soit meilleure qu’elle. L’édit du roi sera connu dans tout son royaume, et toutes les femmes, de la plus jeune à la plus âgée rendront honneur à leurs maris, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. »

 L’édit fut approuvé par le roi et les autres princes, et le roi décida d’agir selon la parole de Memuhan. Il envoya des lettres et des missives à toutes les provinces du royaume, à chaque province selon son écriture et à chaque peuple selon sa langue. Elles indiquaient que l’homme devait être le maître dans sa maison, et que la langue qui devrait être parlée au sein du foyer serait celle de l’époux. Ainsi par cet édit le roi avait non seulement répondu de façon politique, mettant un terme définitif à l’espoir Babylonien, mais l’édit avait également permis à chaque homme dans le royaume de se sentir fort au moins dans son foyer. Le roi Assuérus (Xerxès 1er) avait sans le vouloir mit fin à un espoir de féminisme qui ne réapparaitra dans l’histoire de l’humanité que plus de deux mille ans plus tard.

Nous n’entendrons plus parler de Vashti, du moins au sein du palais du roi de Perse et de Mède. Le Midrash Esther Raba enseigne qu’elle n’eut finalement eu que ce qu’elle méritait, puisque c’est elle qui avait demandé à Assuérus (Xerxès 1er) d’ordonner l’arrêt des travaux de construction du Second-Temple en Judée.

La guerre

Dans la quatrième année du règne d’Assuérus (Xerxès 1er) en l’an 482 de l’ère, l’armée Perse sous la direction de son roi s’opposa à l’alliance des cités grecques. L’armée grecque était composée de 7.000 hommes, tandis que l’armée des perses comptait des centaines de milliers de soldats qui se retrouvent à l’entrée du défilé des Thermopyles pour commander l’accès à la Grèce centrale, le long de la mer Égée. L’alliance organisée pendant le banquet de 180 jours aboutit effectivement à la création d’une armée gigantesque.

À la suite d’une manœuvre de contournement par les Perses, la plupart des Grecs (pris en traîtres sur leurs arrières) abandonnèrent le champ de bataille, trahis par  l’un des leurs. Seuls les 300 soldats spartiates commandés par le roi Leonidas Ier, ainsi que 700 soldats de Thespies sous les ordres de Démophilos, décidèrent de combattre jusqu’au sacrifice, malgré une infériorité numérique prononcée, pour laisser aux Grecs le temps d’organiser leur défense. Voici le déroulement des opérations.

Le premier jour de la bataille, Assuérus (Xerxès 1er) se résolut à attaquer les Grecs. Il ordonna à 5 000 archers de créer un barrage de flèches, qui se révéla inefficace. En effet, ils tirèrent d’une distance de plus de 100 mètres, et les casques et les boucliers grecs en bronze firent dévier leurs flèches.

Le roi perse envoya ensuite 10 000 soldats, pour capturer des défenseurs et les ramener mais cette opération se solda par un échec total. Les Perses décidèrent alors d’attaquer frontalement, par vagues de 10 000 hommes. Les Grecs se tinrent au passage le plus étroit du défilé, ce qui leur permit d’utiliser un minimum de soldats pour défendre leurs positions. Ils tuèrent un si grand nombre de Mèdes qu’Assuérus (Xerxès 1er) se leva trois fois de son siège alors qu’il observait les combats. Les Grecs quant à eux accusèrent la perte de seulement deux ou trois Spartiates.

Assuérus (Xerxès 1er) ayant pris la mesure de ses ennemis, lança alors ses meilleurs hommes dans un second assaut : il s’agissait des « Immortels », un corps d’élite de 10 000 hommes qui constituait sa garde personnelle. Eux non plus ne parvinrent pas à percer les défenses grecques. Les Spartiates feignirent une retraite avant de se retourner contre les Perses, tuant un maximum d’entre eux.

Le deuxième jour de la bataille, Assuérus (Xerxès 1er) envoya encore l’infanterie pour attaquer. Il supposa alors que ses ennemis, si peu nombreux, étaient invalides à la suite de leurs blessures de la veille et ne pouvaient plus guère opposer de résistance. Toutefois, comme au premier jour, les Perses furent incapables de percer les défenses grecques. Assuérus (Xerxès 1er), ordonna alors la fin des assauts et se retrancha dans son camp.

À la fin de ce même jour, il chercha la solution à son problème et reçut une offre inattendue : Éphialtès de Trachis, un soldat grec malien, l’informa de l’existence d’un sentier dans la montagne, qui permettait de contourner le défilé des Thermopyles, et lui offrit de guider les Perses. Éphialtès agit alors dans le but de recevoir une récompense.

Le soir même Assuérus (Xerxès 1er) envoya des soldats sous ses ordres, pour encercler les Grecs.

À l’aube du troisième jour, les Phocidiens, qui gardèrent le sentier surplombant le défilé, prirent conscience, grâce au bruissement de feuilles d’ormes, que la colonne perse s’avançait vers eux. Les Phocidiens, croyant que les Perses  les attaquaient, se retirèrent sur une colline à proximité, d’où ils purent affronter leurs adversaires. Les Perses, refusant de perdre du temps, tirèrent alors une volée de flèches en direction de leurs ennemis avant de continuer leur chemin, toujours dans le but d’encercler la majeure partie des forces grecques dans le défilé.

Informé par un messager que les Phocidiens n’avaient pu défendre le sentier, le roi Leonidas réunit un conseil de guerre à l’aube. Lors de ce conseil, des Grecs argumentèrent en faveur de la retraite, mais Leonidas préféra rester dans le défilé avec les Spartiates. Lorsqu’il découvrit que son armée était encerclée, Leonidas offrit à ses alliés de quitter le champ de bataille s’ils le souhaitaient. Certains Grecs s’enfuirent alors tandis qu’environ 2 000 soldats restèrent pour combattre auprès de Leonidas jusqu’à la mort. Plusieurs autres contingents grecs se retirèrent également (sans en recevoir l’ordre). Les 700 Thespiens, menés par leur général Démophilos, refusèrent de partir et participèrent aux combats. Sur place se trouvaient 400 Thébains qui accompagnaient les Spartiates. Leonidas, quant à lui, dirigeait 300 soldats. Il formait une arrière-garde pour permettre aux autres Grecs de s’enfuir. En effet, si le défilé n’était plus défendu, la cavalerie perse pouvait encercler les soldats grecs en fuite. S’ils étaient tous restés dans le défilé, ils auraient tous été encerclés puis tués. En protégeant la retraite tout en continuant de bloquer le défilé, Leonidas et ses hommes purent sauver plus de 3 000 hommes, encore capables de combattre l’envahisseur.

À l’aube, Assuérus (Xerxès 1er) après avoir fait des libations aux dieux, donna le temps aux Immortels de descendre des montagnes et ordonna à ses hommes d’avancer. Une force de plus de 10 000 Perses, à la fois de l’infanterie légère et de la cavalerie, chargea la partie frontale des forces grecques de Leonidas. Les Grecs quittèrent la protection du mur défensif des Phocidiens dans le but d’affronter les Perses dans la partie la plus large du défilé, espérant ainsi infliger un maximum de pertes à leurs adversaires. Ils combattirent avec leurs lances, jusqu’à ce qu’elles soient toutes brisées, puis combattirent avec des xiphos (de courtes épées de bronze). Le roi Leonidas tomba au combat sous les flèches perses; deux frères d’Assuérus (Xerxès 1er), Abrocomès et Hypérantès tombèrent également durant la bataille.

À l’approche des Immortels, les Grecs se retirèrent sur une colline près du mur défensif. Les Thébains s’éloignèrent de leurs compatriotes, les mains levées en signe de reddition, s’avançant vers les Perses. Quelques-uns furent tués avant que leur capitulation soit acceptée. Les soldats grecs à qui il restait encore des épées s’en servirent pour leur défense ; les autres combattirent à mains nues et avec les dents. Ayant ordonné la destruction du mur, Assuérus (Xerxès 1er) décida l’encerclement de la colline. Les archers perses tirèrent alors des flèches jusqu’à la mort du dernier Grec. Le défilé fut ouvert aux forces des perses, au prix de 20 000 morts. En contrepartie, les Grecs perdirent près de 2 000 soldats en trois jours de combat.

Après la bataille de Thermopyles, se succédèrent différentes batailles confrontant les grecs aux armées d’Assuérus (Xerxès 1er). L’une d’entre elles marqua particulièrement l’histoire, il s’agit de la bataille navale de Salamine.

Cette bataille navale se déroula en 480 av. J.-C. Dans la sixième année du règne d’Assuérus (Xerxès 1er), dans le détroit entre le continent et l’île de Salamine, situé dans le golfe Salonique près d’Athènes. La victoire inespérée des Grecs, largement surpassés en nombre, fut le point culminant de la seconde invasion perse. Bien que largement surpassés en nombre, les alliés grecs s’engagèrent dans une bataille décisive, espérant que la victoire grecque empêcherait les Perses d’envahir le Péloponnèse. Le roi Assuérus (Xerxès 1er) rechercha aussi une bataille décisive. À la suite d’un subterfuge des Alliés, la flotte perse entra dans le détroit de Salamine. Elle y fut tellement à l’étroit qu’elle ne put plus manœuvrer efficacement et sa supériorité numérique n’était alors plus un avantage. La flotte grecque forma  alors une ligne et détruit un nombre élevé de navires perses. Cette victoire, combinée à celles de Platées et du cap Mycale, diminua considérablement les forces armées perses dans la région.

Après avoir perdu l’espoir d’être à la tête d’un empire contrôlant toute la terre, Assuérus (Xerxès 1er) rentra chez lui à Suse la capitale, calmé du désir de conquérir le reste du monde. Il disposait déjà, à la septième année de son règne, de 127 provinces qui représentaient à son époque l’empire le plus grand qui n’ait jamais existé.

Assis sur son trône, loin des champs de bataille, Assuérus (Xerxès 1er) se remémora l’épisode du refus de  la reine Vashti et la décision prise à son sujet. Il était question de trouver au roi une nouvelle épouse pour remplacer la reine Vashti. Pour ce faire, il approuva une proposition visant à nommer des commissaires chargés de rassembler pour le roi, des jeunes filles, vierges et de grande beauté dans toutes les provinces. Les femmes sélectionnées étaient par la suite emmenées chez Haggai, eunuque du roi, gardien des femmes, à Suse, la capitale, et bénéficiaient de tout le nécessaire pour parfaire leur toilette et se présenter devant le roi. La jeune fille qui plairait au roi deviendrait la nouvelle reine de Perse. Il s’agissait là de redonner au roi la joie de vivre qui le caractérisait avant son départ pour la guerre. L’occasion pour les jeunes filles vierges du royaume était immense : quel que soit leur origine, toutes les jeunes filles du royaume pouvaient potentiellement devenir la première épouse du roi. La nouvelle parvint rapidement dans toutes les maisons du royaume et toutes les filles ne rêvaient plus que d’être choisies par les émissaires du roi.

Mardochée le juif, Esther reine de Perse  

« Il y avait dans Suse la capitale, un Juif nommé Mardochée, fils de Jaïr, fils de Schimeï, fils de Kish, un homme de Benjamin. » (Esther 2,6)

Mardochée le Juif

Beaucoup de juifs habitaient Suse la capitale du royaume perse. La communauté était prospère, et entièrement intégrée parmi les perses. Beaucoup, parmi les juifs, se considéraient comme des citoyens perses à part entière. Certains avaient gardé leurs coutumes, leurs pratiques des lois du judaïsme, mais ils avaient également adopté en parallèle les coutumes perses. Les enfants ne portaient plus de prénoms juifs, mais des prénoms empruntés à la culture en vigueur en perse. Le prénom Mardochée, par exemple, était issu du nom du dieu Marduk ; celui d’Esther,  de la déesse Ishtar et celui de Zerubabel pouvait être traduire par « graine de Babel ». Jérusalem n’était pour eux qu’un lointain souvenir de leur origine. L’idée du retour ne les effleurait pas ; ils étaient perses à présent et juif à leurs yeux ne signifiait plus appartenir à la terre de Judée, mais à une religion : le judaïsme.

Mardochée était l’un d’entre eux, ses ancêtres étaient Jair, Schimeï, et Kish, il était un juif de la tribu de Benjamin. Sa famille faisait partie des exilés de Jérusalem de l’époque de Yehoniya roi de Judée. On connaissait peu de choses quant à la jeunesse de Mardochée.  Avait-il été élevé selon les préceptes du judaïsme ? Avait-il grandi dans une famille assimilée ? Les avis des Sages divergeaient à ce sujet. Pour certains, Mardochée était un sage de la Grande assemblée (conseil des juifs), pour certains il était bien plus : il était un prophète d’Israël, voire peut-être même le prophète Malachi. Selon un Midrash, Mardochée avait fait le voyage avec les exilés de Sion, partis quelques années plutôt avec Zerubabel en terre d’Israël à la déclaration de Cyrus. Il était revenu à Suse en tant que représentant des habitants d’Israël pour demander au roi Assuérus (Xerxès 1er) de reprendre les travaux du Temple. Il serait même revenu en même temps qu’Haman et ses fils dont nous parlerons par la suite, qui eux représentaient les autres habitants d’Israël (les Samaritains) opposés à la construction du Temple. Selon d’autres, Mardochée était un homme loin, très loin du judaïsme. Juif religieux ou juif assimilé ? Quoi qu’il en soit, lui aussi portait le nom d’une divinité babylonienne.

 Dans certaines versions du rouleau d’Esther on raconte que Mardochée avait fait un rêve, dans la deuxième année de règne du roi Assuérus (Xerxès 1er), au premier mois de Nisan :

« Et il rêvait, et voici une voix de tumulte dans les cieux, et une voix de tonnerre et de tremblement sur la terre. Et avec le bruit de deux terribles crocodiles, un homme combat son frère, et leurs voix sont terribles. Et à leur voix, toutes les nations de la terre se levèrent pour combattre un peuple saint. Et il y aura un jour de terreur, de désolation et d’obscurité dans tout le pays. Et tous les justes auront peur, et craindront le mal, et la crainte de D.ieu sera sur eux, car ils verront leur âme. Et ils crièrent à l’Éternel, et crièrent, disant : Voici, il y a un grand fleuve, et beaucoup d’eaux coulent d’une petite source. Et le soleil brillait, et il y avait de la lumière, et les humbles grandissaient et engloutissaient les forts. » À son réveil Mardochée décida de garder le rêve dans son cœur, pour en connaître la solution.

Mardochée était un homme important à Suse. Il siégeait au Conseil à la porte du palais du roi. Selon un Midrash rapporté par Rachi, Mardochée avait servi en tant que commandant de légions dans l’armée du roi Assuérus (Xerxès 1er) pendant les batailles qui affrontèrent les perses aux grecs. À cette même période, un autre commandant de légions servait dans l’armée du roi, il s’agissait d’Haman le Hagagui. Son rôle, en tant que chef de légion était de gérer les réserves de nourritures et les munitions, car des soldats affamés et en manque de munitions ne pouvaient se battre. Or, Haman faillit à ce devoir et ses légions se retrouvèrent dans le besoin. Il supplia alors Mardochée de l’aider, de subvenir aux besoins de ses troupes. Sans l’aide de Mardochée, ils auraient péri. Mardochée accepta d’aider Haman, à la condition qu’un pacte soit signé entre les deux hommes, stipulant qu’Haman serait, à jamais, redevable vis-à-vis de Mardochée.

Les années passèrent, les combats furent oubliés ; les uniformes de guerre laissèrent place aux habits d’apparat des hommes politiques qui siégeaient au Conseil du roi à la porte du palais.

Mardochée avait vraisemblablement caché ses origines juives durant sa carrière militaire et auprès du conseil. Son appartenance au peuple juif était toutefois ancrée en lui. N’était-il pas le fils de Jair, lui-même descendant de la lignée du premier roi d’Israël, du roi Saül ? La question qui se posait inlassablement était celle de savoir pourquoi n’avait-il pas rejoint ceux qui étaient partis reconstruire le Temple à Jérusalem ? Pourquoi n’avait-il pas pris le chemin du retour ? Nous ne disposons malheureusement d’aucune réponse et l’histoire nous prouvera que cette situation se reproduira maintes fois. Cela n’est-il pas le cas aujourd’hui ?

Esther

Mardochée adopta sa cousine Hadassa également dénommée Esther, car elle était orpheline, « son père était mort avant sa naissance, et sa mère en la mettant au monde. ».

Comme lui, elle avait un nom Babylonien. La jeune fille était belle de taille et belle de figure. Lorsque l’ordre du roi et son édit furent publiés, un grand nombre de jeunes filles furent rassemblées à Suse, la capitale, par les représentants du roi. Esther figurait parmi elle. Elle fut conduite dans la maison du roi, sous la surveillance d’Haggai gardien des femmes. La jeune fille lui plut, et trouva grâce devant lui ; il s’empressa de lui fournir le nécessaire pour sa toilette et sa subsistance, mit à sa disposition sept jeunes filles choisies dans la maison du roi, et la plaça avec elles dans le plus bel appartement de la maison des femmes. Esther aurait pu indiquer à Haggai ses origines royales (elle était en effet descendante du roi Saül, ce qui aurait pu jouer en sa faveur pour être choisie par le roi), mais elle n’en fit rien. À première vue, Esther espérait vraisemblablement ne pas être choisie, pour pouvoir rentrer auprès des siens. Elle suivit le conseil de Mardochée, en cachant totalement son appartenance au peuple d’Israël.

Il est également probable qu’Esther souhaitait en réalité être choisie par le roi, et qu’elle préféra à ce titre lui cacher son origine juive, jugeant que cette information serait perçue comme un obstacle. En en Perse, beaucoup, dont le roi, pratiquaient le zoroastrisme. Or, cette religion interdit de se marier avec une personne qui est non-zoroastrien. Dévoiler son judaïsme, l’aurait donc disqualifiée d’office.

Esther évolua dans la maison des femmes telle une orpheline inconnue, sans attachement à aucun peuple, elle était « juste » citoyenne de Perse, prétendante à la couronne de l’Empire de Perse et de Mède. Pour Mardochée qui l’avait élevée et chérie, la situation était préoccupante. Il connaissait les protocoles du palais et savait que si Esther n’était pas choisie, elle risquait de finir ses jours, emprisonnée avec le reste des concubines dans la maison des femmes. Ayant son entrée à la porte du palais, il allait et venait chaque jour devant la cour de la maison des femmes, pour savoir comment elle se portait et s’assurer qu’elle était bien traitée.

La préparation pour se présenter devant le roi dura une année entière. Une année durant laquelle, on devait déceler si les prétendantes avaient développé une quelconque maladie. Durant les six premiers mois, les eunuques prirent soin des jeunes filles, les baignant dans de l’huile de myrrhe puis durant les six mois suivants, ils les baignèrent dans des parfums. À la fin de l’année, les filles furent présentées une à une auprès du roi. Elles avaient le droit de se servir parmi tous les bijoux royaux et de prendre la parure qu’elles désiraient pour tenter de plaire au roi.

Une fois passées devant le roi, elles étaient conduites dans le Harem du roi sous la surveillance de Schaaschgaz, eunuque du roi et gardien des concubines. Elles n’étaient alors plus autorisées à voir le roi, à moins que celui-ci n’en exprime le souhait.

Ce fut enfin le tour d’Esther. Elle ne réclama aucun ornement supplémentaire à ce qu’avait choisi pour elle Haggai et c’est ainsi qu’elle fut présentée au roi.

Le roi Assuérus (Xerxès 1er) aima Esther plus que toutes les autres femmes et elle obtint grâce et faveur devant lui plus que toutes les autres jeunes filles. Il mit la couronne royale sur sa tête, et Hadassa Esther fille d’Abigail, nièce de Mardochée devint reine de l’Empire de Perse et de Mède à la place de Vashti. C’était à la septième année de son règne, au mois de Tébet (janvier).

Esther trouvait grâce aux yeux de tous ceux qui la voyaient. Elle fut conduite auprès du roi, dans sa maison royale. Le roi donna un grand festin en l’honneur de sa nouvelle reine où furent conviés tous les princes et les serviteurs ; il accorda des jours fériés de repos dans toutes les provinces, et offrit des présents ainsi que des réductions d’impôts en son honneur.

Fidèle aux recommandations de Mardochée, Esther prit soin de conserver son secret quant à ses origines et à son peuple.

Les jours passèrent et Mardochée continuait de siéger à la porte du palais. Il eut connaissance d’un complot qu’organisaient Bigthan et Théresch, deux eunuques du roi, pour empoisonner leur maître. Mardochée en informa directement la reine Esther, qui fit savoir la chose après du roi de la part de Mardochée. Les deux eunuques furent pendus et l’histoire fut écrite dans le livre des chroniques en présence du roi. Selon certains, Mardochée aussi écrit cette histoire afin d’en garder une trace..

Aman le grand Vizir   

« L’Eternel dit à Moïse: « Ecris cela en souvenir, dans le Livre et place–le aux oreilles de Josué: que J’effacerai le souvenir d’Amalec de dessous les cieux » » (L’Exode, 27, 8 et 14)

Le descendant d’Amalec

Cinq années s’écoulèrent. Esther était à présent reine de Perse et de Mède, Mardochée siégeait aux portes du palais et Aman, fils d’Amdata l’Agaguite, qui avait commandé certaines légions à l’époque de la guerre contre les grecs, obtint du roi de devenir son grand vizir. Aman était issu d’un peuple ennemi d’Israël depuis la nuit des temps et contre lequel les enfants d’Israël se battirent à la sortie d’Egypte : nous parlons ici des Amalécites. Les sages du Talmud de Babylone de même que Flavius Josèphe nous enseignent que « l’Agaguite » provient de Agag qui fut le roi des Amalécites à l’époque de Saül le roi d’Israël.

À la sortie d’Égypte, lorsque D.ieu frappa les égyptiens par les dix plaies et fendit en deux la mer de jonc, toutes les nations furent effrayées et personne n’osa attaquer les juifs jusqu’au peuple d’Amalec. C’est ce moment-là précisément que choisit Amalec pour attaquer, sans aucune tangible, les enfants d’Israël, dans le désert de Réfidim, alors qu’ils étaient affaiblis et sans défenses. Sans l’intervention divine, le peuple juif n’aurait pu survivre à cette attaque. On considère dès lors qu’Amalec s’est révolté contre D.ieu lui-même. Cette initiative belliqueuse aura contribué à atténuer considérablement le respect et la crainte du monde vis-à-vis des juifs.

Toutes les persécutions que subirent les juifs au cours de l’histoire sont psychologiquement liées au peuple d’Amalec. Dès lors, on comprend mieux la volonté d’Aman, descendant d’Amalec, de détruire le peuple juif (comme nous allons le détailler par la suite).

Le nom d’Amalec est mentionné pour la première fois dans la Torah dans le livre de Béréshit (Genèse). On y apprend qu’Elifaz, fils d’Esaü, petit-fils d’Isaac, arrière-petit-fils d’Abraham, avait une concubine du nom de Timna avec laquelle il eut un enfant du nom d’Amalec.

Timna, était une femme de haut rang, sœur du « chef Lotan ». Toutefois, dans le contexte de l’époque, le statut d’une femme qui vivait avec un homme sans être mariée avec lui n’était pas particulièrement enviable. Désireuse de lier son destin à celui des Hébreux, elle s’était rendue auprès d’Abraham, Isaac et de Jacob et ceux-ci l’avaient tour à tour éconduite. Estimant « qu’il vaut mieux être une servante au sein de cette nation plutôt qu’une princesse dans n’importe quelle autre », elle se tourna alors vers Elifaz fils d’Esaü et petit-fils d’Abraham et devint sa concubine, entrant ainsi dans cette famille par la « petite porte ». Timna éprouva cependant de la rancune vis-à-vis d’Abraham, d’Isaac et de Jacob pour l’avoir « rejetée ». Ce ressentiment qu’Esaü ressentait également pour son frère Jacob, sera transmis à Amalec, tel un héritage qui enjoignit leur descendance à développer une haine farouche pour cette famille.

Au fur et à mesure que la famille hébraïque s’agrandit et devint un véritable peuple, le peuple d’Israël, la haine Amalécites grandit également et se transforma en idéologie, haine entretenue au cours des générations contre le peuple juif.

C’est cette idéologie qui motivera les Amalécites dans leur première bataille contre les enfants d’Israël à Réfidim.

C’est cette même idéologie qui les poussa, tout au long de l’Histoire, à s’opposer à Israël.

C’est toujours cette idéologie qui, dans notre histoire, à la cour du roi Assuérus (Xerxes 1er) entraîna, Aman, descendant d’Amalec, dans la haine, au point de planifier le premier projet de solution finale de l’Histoire visant à « détruire, exterminer et anéantir tous les Juifs, jeunes et vieux, enfants et femmes, en un seul jour ».

Aman

Le statut de grand vizir constituait le plus haut niveau qu’un homme pouvait atteindre dans l’empire perse en dehors de celui du roi. Il impliquait d’être au-dessus de tous les autres ministres et de jouir de tous les pouvoirs. Tous les serviteurs du roi, tous ceux qui siégeaient à la porte du roi, devaient fléchir le genou et se prosterner devant le grand vizir Aman car ainsi en avait décidé le roi, par ordre royal.

Mardochée était le seul, irréductible, à refuser de se prosterner devant Aman car « un juif ne doit se prosterner que devant le Dieu d’Israël ». Or, comme nous l’avons rappelé plus tôt, Aman était redevable à Mardochée. Un décret de guerre prouvait qu’Aman devait tout à Mardochée et qu’il serait à jamais son sujet. Mardochée n’avait donc aucune raison de fléchir le genou et de se prosterner devant Aman.

Les serviteurs du roi, qui se tenaient à la porte du roi, demandaient à Mardochée : « Pourquoi transgresses-tu l’ordre du roi ? » et jour après jour, ils répétaient à Mardochée qu’il devait se prosterner devant Aman, tandis que lui, persistait dans sa résolution, et déclarait haut et fort, qu’il était juif. À partir de ce moment Mardochée ne fut plus simplement considéré comme un ministre siégeant aux portes du palais mais il deviendra aux yeux de tous Mardochée « le Juif ». L’histoire nous montre, en effet, qu’un juif peut atteindre les postes les plus hauts, quel que soit son domaine où le lieu où il exerce, pour autant dès que sa judéité est révélée, il devient inexorablement « le Juif ». Il s’agit d’un classique de l’antisémitisme, ses adeptes ressentent un complexe d’infériorité, ils ont tendance à percevoir que le Juif a quelque chose en plus, quelque chose qui aurait du lui appartenir : plus de pouvoir, plus d’argent, plus de chance, plus de contrôle, plus de bénédiction… L’antisémite développe cette idée que le Juif usurperait une place qui aurait dû lui revenir.

La solution finale

Lorsqu’Aman constata que Mardochée refusait de plier le genou devant lui, cela le remplit de fureur. Il aurait pu porter atteinte seulement à Mardochée, toutefois, au vu de ses revendications en tant que Juif, il entreprit de le détruire parmi l’ensemble des Juifs qui se trouvaient dans le royaume d’Assuérus (Xerxes 1er).

Pendant combien de jours Mardochée est-il resté à la porte du roi sans se prosterner devant Aman?

Combien de temps a-t-il fallu à Haman pour exploser et décider de renverser le sort des Juifs ? Aman avait-il trouvé en Mardochée un prétexte pour s’attaquer au peuple juif tout entier ?

Son antisémitisme est-il né du refus de Mardochée de se prosterner ?

Ce sont autant de questions auxquelles nous n’avons pas de réponses.

Aman était redevable à Mardochée, or, en décidant de supprimer son peuple tout entier, il trouva un moyen d’effacer son ardoise. Ce procédé est on ne peut plus classique malheureusement. Combien de fois dans l’histoire, des pogroms ont-ils eu lieu pour effacer les ardoises des rois ou des seigneurs face à des juifs prêteurs ?!

Aman décida, en vue de mettre en œuvre son projet, de procéder à une coutume prisée en Perse : le tirage au sort. Nous étions alors au mois de Nissan (Avril), durant la deuxième année du règne du roi Assuérus (Xerxes 1er). Ainsi, Aman procéda à un tirage au sort pour déterminer le jour et le mois durant lesquels le peuple Juif serait exterminé et le sort désigna le treizième jour du mois d’Adar.

Aman se rendit ensuite chez le roi pour obtenir son approbation.

« Il y a dans toutes les provinces de ton royaume un peuple dispersé parmi les peuples, ils ne se mélangent pas aux autres et observent des lois bien différentes de celles de tous les peuples. Ils négligent les lois du roi. Il n’est pas dans l’intérêt du roi de le laisser en vie. Si le roi le trouve bon, qu’on écrive l’ordre de le faire périr ; et je pèserai dix mille talents d’argent entre les mains des fonctionnaires, pour qu’on les porte dans le trésor du roi. »

Haman avait ainsi parlé, décrivant le peuple juif comme hostile à l’intégration dans l’empire perse, dispersé dans tout le royaume, et par conséquent, facile à abattre. En indiquant que le peuple juif ne respectait pas les lois du roi, il insinuait qu’il portait atteinte directement à la royauté. Par ailleurs, Aman ajouta un argument de taille puisqu’il offrait de remplir les caisses royales qui s’étaient vidées en grande partie durant les guerres contre les grecs.

Le roi ôta l’anneau qu’il portait à son doigt, et le remit à Haman, fils d’Hammedatha, l’Agaguite, ennemi des Juifs. « L’argent t’est donné, et ce peuple aussi ; fais-en ce que tu voudras ».

Il semblerait que le roi ait acquiescé à la demande d’Aman avec facilité, pour ne pas dire avec une certaine impulsivité, puisqu’il lui proclame de faire de son sceau « ce qui est bon à ses yeux ». L’extermination des Juifs servait-elle les intérêts d’Assuérus (Xerxès 1er) ? Les secrétaires du roi furent appelés le treizième jour du premier mois, et l’on écrivit, suivant tout ce qui fut ordonné par Aman, aux satrapes du roi, aux gouverneurs de chaque province et aux chefs de chaque peuple, à chaque province selon son écriture et à chaque peuple selon sa langue.

Et voici ce qu’ils écrivirent :

« Salutations à tous les ministres et serviteurs. Bien que j’aie conquis de nombreux peuples et toute la terre et sous l’emprise de ma main, mon esprit ne s’est pas élevé dans ma force, et j’ai donné mon cœur pour régner dans la grâce et la miséricorde, et exiger la paix de mes sujets, et prendre soin de mon royaume pour que chaque homme repose en paix et en sécurité. Et il arriva que je consulte mes ministres royaux à ce sujet, et Haman, le chef des conseillers, un homme bon, honnête et fidèle et Grand vizir de mon royaume, me dit : « Il y a un peuple dispersé et séparé parmi les peuples dans tous les royaumes de votre royaume, et leurs religions sont différentes de celles des autres peuples, et ils n’applique pas les règles du roi, et pour le roi cela ne vaut pas la peine de les laisser.’’ Et qu’il soit entendu qu’un peuple au cœur dur s’accrochera à ses voies, et coupera mes constitutions pour détruire mon pays, et qu’il frappera la paix de mon peuple, et je donnerai un ordre à tous les gardiens de mon travail sur eux. Et ce commandement sera fait le quatorzième jour du mois d’Adar, qui est le douzième mois de cette année. Par souci de destruction, ces méchants seront détruits en un jour, et il y eut la paix et la tranquillité dans mon pays. »

Ce fut au nom du roi Assuérus (Xerxès 1er) que l’on écrivit, et on scella les missives avec l’anneau du roi. Les lettres furent envoyées dans toutes les provinces du roi, pour ordonner la destruction et le meurtre de tous les Juifs, jeunes et vieux, petits-enfants et femmes, en un seul jour, le treizième du douzième mois, qui est le mois d’Adar, ainsi que le pillage de leurs biens. Ces lettres renfermaient une copie de l’édit qui devait être publié dans chaque province et invitaient tous les peuples à se tenir prêts pour ce jour-là. Les courriers partirent en toute hâte, conformément à l’ordre du roi. L’édit fut aussi publié dans Suse, la capitale alors que le roi et Aman fêtait cela en s’adonnant à la boisson. La ville de Suse plongea dans la consternation. Après l’annonce d’un tel ordre d’extermination visant un peuple entier, il ne restait plus qu’à s’asseoir et attendre de savoir comment les citoyens ordinaires traduiraient l’ordre royal en pratique. Ils pouvaient désormais imaginer l’empire sans les Juifs.

Aman avait obtenu gain de cause et Suse la capitale n’en fut même pas choquée. Elle ne s’en réjouit ni ne se déchira. Elle ne réagit pas particulièrement à l’édit royal. Les Juifs de Suse seraient-ils importunés ? L’une des femmes juives de Suse se trouva, pour sûr, embarrassée, il s’agit bien entendu de la reine de Perse et de Mède : la reine Esther.

L’annonce

Mardochée, fut l’un des premiers à être mis au courant de ce qui allait arriver, il siégeait en effet aux portes du palais, et découvrît, à ce titre le contenu des missives avant même qu’elles ne soient transmises au peuple. Il aurait pu se désolidariser de son peuple et aurait vraisemblablement été épargné au regard de son statut important au palais ou même en tant qu’ancien militaire qui avait consacré de nombreuses années de sa vie au service de la couronne. Mais il ne le fit pas. Il décida d’être solidaire avec son peuple et prit le deuil publiquement, aux yeux de tous. Il se revendiqua à cet instant, pleinement, comme juif alors même que ses coreligionnaires au sein du peuple ne savaient pas que Mardochée était l’un des leurs. Mardochée retira son masque et montra sa réelle identité. Il déchira ses habits d’apparat, se couvrit d’un habit en sac de jute pour exprimer que sa place était au milieu de son peuple et qu’il souffrait à ses côtés. La tête couverte de cendre, il alla au centre de la ville et poussa avec force des cris amers. Il se rendit, même, jusqu’aux portes du palais dont l’entrée était interdite à toute personne revêtue d’un sac.

La désolation s’empara de tout le peuple juif lorsque, dans chaque province, arrivait l’ordre du roi et son édit. La solution finale était entérinée et le peuple juif allait disparaitre. Les juifs se tournèrent vers leur D.ieu, le D.ieu d’Israël, ils jeûnaient, pleuraient et se lamentaient, et beaucoup, à l’image de Mardochée revêtirent des sacs de jute, et se couvrirent de poussière. Dans toutes les communautés juives on priait le D.ieu d’Israël de faire annuler ce décret. Mardochée aussi s’adressa à l’Éternel et voici sa prière : « Éternel mon roi, mon D.ieu, entre tes mains est la puissance et l’héroïsme. Et s’il est dans ton cœur de sauver ton peuple d’Israël, qui se tient devant toi. Tu as créé les cieux et la terre et tout ce qui est en eux, car tu es seul maître de toutes les actions, et il n’y a pas de sauveur hors de ta main, et rien ne te sera caché. Tu sais que ne demandant pas de retour et de cœur, j’ai refusé de m’incliner devant Haman. Parce que pour le bien d’Israël, j’embrasserais aussi ses pieds. Je me suis abstenu d’élever la dignité humaine pour ton honneur, car devant toi seul je m’incline. Et maintenant, Seigneur Éternel, aie pitié d’Israël, car nos ennemis se cachent pour nos âmes, pour nous détruire de dessus la surface de la terre. Écoute une voix implorante et épargne ton héritage. Tourne notre deuil vers l’allégresse pour le plaisir de vivre et de te remercier, et ne ferme pas mes lèvres de dire tes louanges. »

Le comportement de Mardochée fit jaser les serviteurs et les eunuques du palais. Pour un homme siégeant à la porte du palais, il était peu courant de se présenter ainsi. Même si l’on était commun de porter le deuil pour un membre de sa famille, le protocole exigeait que cela ait lieu, en toute intimité, loin du palais. Les servantes de la reine Esther, lui rapportèrent le comportement de Mardochée et elle en fut effrayée. Elle tenta d’envoyer des vêtements à Mardochée pour le couvrir et lui faire ôter son sac, mais il les refusa.

Alors Esther appela Atah, l’un des eunuques que le roi avait placés auprès d’elle et le chargea d’aller demander à Mardochée les raisons de son comportement. Atah alla jusqu’à la place principale de la ville où se tenait Mardochée. Il fit comme s’il le rencontrait par hasard et lui demanda les explications exigées par la reine. Mardochée lui raconta tout ce qui était arrivé, le décret du roi, la solution finale pour le peuple juif, la somme d’argent qu’Aman avait promis de livrer au trésor du roi en retour du massacre des Juifs. Il lui donna également une copie de l’édit publié à Suse, sur lequel figurait l’ordre de destruction, afin qu’il le montre à Esther. Il demanda à ce qu’Esther se rende chez le roi pour lui demander grâce et l’implorer en faveur de son peuple, il était temps selon Mardochée de dévoiler les origines d’Esther.

Atah rapporta l’ensemble des paroles de Mardochée à la reine Esther, qui s’empressa de renvoyer Atah avec sa réponse, telle que suit :

« Tous les serviteurs du roi et le peuple des provinces du roi savent qu’il existe une loi perse portant peine de mort contre quiconque, homme ou femme, qui se présente auprès du roi, dans la cour intérieure, sans y avoir été convié. Le roi a dans sa main un sceptre d’or et peut décider de la mort de la personne en tendant son sceptre ou pas. Or voici que moi je n’ai pas été conviée auprès du roi depuis plus de trente jours. » Esther savait qu’approcher le roi sans y avoir été conviée revenait à accepter une mission suicide que lui aurait confié Mardochée, qu’elle aurait de plus, peu de chances d’aboutir et qu’elle pourrait finalement y perdre la vie.

Atah rapporta les paroles d’Esther et Mardochée lui fit part de sa réponse.

« Ne t’imagine pas que tu échapperas seule d’entre tous les Juifs, parce que tu es dans la maison du roi ; tu seras certes probablement sauvée, mais ton âme ne le sera pas. Car, si tu te tais maintenant, le secours et la délivrance surgiront d’autre part pour les Juifs, et toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si ce n’est pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté ? »

La réponse de Mardochée se voulait claire et concise. Risquer sa vie était le prix à payer pour sauver son âme. Son peuple, le peuple d’Israël se trouvait en danger de mort et il lui fallait tout tenter pour le sauver. Dieu décide de tout ce qu’il se passe sur terre. L’arrivée d’Esther dans la maison du roi n’était dès lors pas anodine. Mardochée enjoignit à Esther d’agir car si elle ne le faisait pas, D. trouverait un autre moyen de sauver le peuple juif et son âme serait, quant à elle, perdue. Mardochée avait une confiance aveugle en D.ieu, il savait que D.ieu ne laisserait pas détruire son peuple, qu’il apporterait une solution, par l’intermédiaire d’Esther ou non !

Les paroles de Mardochée firent prendre conscience à Esther du rôle qu’elle devait jouer dans la survie de son peuple. Esther comprit enfin ce que Mardochée avait déjà compris quelques jours auparavant. Elle faisait partie du peuple juif et prit la décision d’agir.

Toutefois, si déjà, elle s’apprêtait à agir, il lui fallait rassembler les forces de la volonté divine pour la soutenir, et pour ce faire, il lui fallait décréter un jeûne.

 « J’irai voir le roi » répondit-elle à Mardochée « mais auparavant, rassemble tous les Juifs qui se trouvent à Suse, et demande-leur de jeûner pour moi, ne mangez ni ne buvez pendant trois jours, ni la nuit ni le jour. Moi aussi, je jeûnerai de même avec mes servantes, puis j’entrerai chez le roi, malgré la loi ; et si je dois périr, je périrai ». Esther souhaitait, en s’infligeant ce jeûne, implorer la miséricorde divine. Ce n’est pas seulement la reine Esther qui se présenta devant le roi de Perse mais Esther et l’ensemble du peuple d’Israël qui se présentèrent devant D.ieu pour l’implorer d’être sauvés. Mardochée accepta et fit exactement tout ce qu’Esther avait demandé.

La face cachée de D.ieu   

«Béni sois-tu, Seigneur, notre D.ieu, roi du monde, qui a fait des miracles pour nos pères, en ces jours à cette époque.» (Prière avant la lecture du rouleau d’Esther)

« Vénahafohou », retournement de situation

Durant trois jours, les juifs de Suse ne consommèrent ni nourriture ni boisson. Ces trois furent jours consacrés à la repentance et à la prière. Ils implorèrent le D.ieu d’Israël d’annuler ce redoutable décret. Durant ces trois jours, la reine Esther et ses servantes firent de même au Palais, elles prient le D.ieu d’Israël afin que la reine puisse se présenter devant le roi sans risquer sa vie.

À l’issue du jeûne, Esther enleva ses habits royaux et se vêtit de vêtements de deuil. Elle mit des cendres sur sa tête, à la manière des endeuillés et s’exclama

« Ô Seigneur Dieu, toi seul es notre Roi, sauve-moi s’il te plait car il n’y a pas d’autre sauveur que toi, et vois dans ma détresse que je suis proche de toi. Ici, j’ai entendu pendant que j’étais dans la maison de mon père que tu as choisi Israël parmi toutes les nations pour être ton peuple en héritage, et que ton alliance a également été établie avec nos ancêtres. Et quand nous avons péché contre toi, et servi les dieux des peuples, nous avons été livrés entre les mains de nos ennemis, car tu es droit dans tes jugements. Et maintenant, il ne leur suffit pas qu’ils aient été emmenés en esclavage, car ils ont aussi juré à leur D.ieu d’effacer notre nom et de rompre votre alliance avec nous. Les destructeurs de Ta maison et de Ton autel feront taire les lèvres de louanges, et glorifieront leurs insultes et leur roi – le roi de chair et de sang. S’il te plaît D.ieu, ne donne pas les tribus d’Israël avant les fils d’On, et ne les laisse pas se moquer de son intérêt. Souviens-toi D.ieu de mon affliction et embrasse mon cœur. J’ai été chargée de parler au roi, de faire haïr son cœur haineux et de le familiariser avec toute sa congrégation. Sens-tu le refuge pour nous et sauve-nous, car il n’y a pas d’autre sauveur que toi. À toi, Dieu, tous les mystères ont été révélés. Tu sais qu’un peu de respect qui honore les méchants, et mon âme a poussé une étreinte étrangère. Tu sais que même la couronne du royaume qui est sur ma tête est une abomination pour moi. Je n’ai pas mangé avec Haman, je ne me suis pas réjouie de la fête du roi et je n’ai pas bu de vin. Depuis que j’ai été amenée ici, c’est seulement en Toi, Seigneur D.ieu d’Abraham, que  je me suis réjouie. S’il te plaît D.ieu, écoute ma voix, et sauve-nous de ceux qui recherchent notre mal. »

Esther revêtit ses habits royaux et se présenta dans la cour intérieure pour être reçue par le roi. Assis sur son trône royal, dans la maison royale, Assuérus se tenait face à l’entrée, lorsqu’il vit la reine s’avancer devant lui. Elle avançait de sa propre initiative bien qu’elle n’y ait pas été conviée plaçant ainsi sa vie entre les mains du roi. Lorsque le roi vit la reine debout face à lui, il lui tendit le sceptre d’or qu’il tenait à la main. Esther, comme le veut la coutume, toucha le sceptre.

« Qu’as-tu, reine Esther, et que demandes-tu ? Jusqu’à la moitié du royaume, elle te serait donnée. » demanda le roi.

Esther répondit : « Si le roi le trouve bon, que le roi vienne aujourd’hui avec Haman au festin que je lui ai préparé. »

Et le roi répondit : « Allez immédiatement chercher Aman, comme le désire Esther. »

Le roi se rendit avec Aman au festin qu’avait préparé Esther. Alors qu’il buvait du vin, le roi s’adressa à Esther : « Quelle est ta demande ? Elle te sera accordée. Que désires-tu ? Quelle que soit ta demande, jusqu’à la moitié du royaume, je te l’accorderai. »

Esther répondit : « Voici ce que je demande et ce que je désire. Si j’ai trouvé grâce aux yeux du roi, et s’il plaît au roi d’accéder à ma demande et de satisfaire mon désir, que le roi vienne avec Haman au festin que je leur préparerai demain et je donnerai alors réponse au roi selon son ordre. »

Esther choisit de ne pas répondre au roi directement et de le faire patienter jusqu’au lendemain, pour attiser son attention. Quant à Aman, il sortit ce jour-là, joyeux et le cœur content jusqu’à ce qu’il se trouvât confronté, à la porte du palais, à Mardochée qui persévérait à ne pas se lever ni se prosterner devant lui. Haman devint fou de rage et envoya chercher ses amis ainsi que sa femme, Zéresch. Il leur vanta la magnificence de ses richesses, le nombre de ses fils, et leur raconta tout ce qu’avait fait le roi pour l’élever en dignité, et du rang dont il l’avait honoré, au-dessus de tous les chefs et serviteurs du roi.

Il ajouta : « Je suis, par ailleurs, le seul que la reine Esther a convié avec le roi au festin qu’elle a préparé, et suis de nouveau invité demain par la reine au festin qu’elle organise pour le roi et moi-même. Mais tout cela ne revêt aucune sorte d’importance, aussi longtemps que je verrai Mardochée, le Juif, assis à la porte du roi. »

Zéresch, sa femme, et tous ses amis émirent la recommandation suivante : « Qu’on prépare une potence haute de cinquante coudées, et au matin, demande au roi qu’on y pende Mardochée. Tu pourras ensuite te rendre joyeux au festin avec le roi. »

Cet avis plut à Aman et il fit préparer la potence.

Aman voulait tous les honneurs et il les voulait immédiatement. Il était convaincu que rien ni personne ne saurait lui résister. Quand le Juif Mardochée refusa de s’incliner devant lui, il désira immédiatement le tuer. Aman étendit même sa colère au peuple tout entier du récalcitrant. Le seul frein au courroux d’Aman demeurait sa superstition. En effet, le sort jeté pour désigner le jour du jugement le contraignit à patienter jusqu’au dernier mois de l’année. Or, même ce délai fixé par « les divinités » lui était insupportable. L‘on comprend dès lors que lorsque sa femme lui suggéra un moyen de contourner les obstacles, ne serait-ce que partiellement, Aman s’y engagea sans tarder. La nuit même, il dressa une potence pour Mardochée et, dès l’aube, se présenta devant le roi pour demander l’exécution de celui qui refusait de l’honorer. Aman était tellement impatient de tuer Mardochée qu’il dressa la potence avant même d’en avoir reçu la permission. Chaque minute gagnée était précieuse, au regard de sa soif de vengeance.

Aman était rempli d’assurance et anticipa la réponse favorable d’Assuérus. Quand le roi l’interrogea le lendemain sur la manière dont il devrait agir vis-à-vis d’un homme qu’il souhaitait honorer, le premier ministre ne put s’imaginer un instant qu’il s’agissait d’un autre homme que lui. La réponse d’Haman dévoila l’étendue de son orgueil. Il voulait qu’Assuérus (Xerxès 1er) le comble des honneurs dus au roi. En termes à peine voilés, il exprima son désir de régner.

Aman souhaitait être vu de tous, mais sa propre vision défaillait. Il ne connaissait ni l’identité d’Esther ni les liens de parenté qui l’unissaient à son ennemi. L’impatience motivait ses choix et il se montrait incapable de maîtriser sa colère. Celle-ci le priva de joie et l’empêcha de jouir du grand honneur que la reine venait de lui accorder.

Orgueilleux, cruel, superstitieux, impatient, arrogant et insensé, Aman fit pourtant preuve d’un sens de manipulation aiguisé, qui pourrait être reconnu comme une qualité. La manière dont il manipula le roi, lorsqu’il lui insuffla de décréter le génocide des Juifs, témoignait effectivement d’une grande habileté politique. Il fit miroiter au souverain un avantage financier (dix mille talents d’argent), alors qu’il ne recherchait uniquement que son propre intérêt. Aman connaissait le roi et il sut exploiter ses faiblesses. Par un décret irréversible, il scella la décision et empêcha le monarque versatile de revenir en arrière.

Mais c’était sans prendre en considération le rôle que la Esther avait à jouer. Initialement présentée comme totalement soumise à Mardochée qui l’avait adoptée, elle suivit également à la lettre les conseils d’Hagaï, l’eunuque chargé de sa préparation. Esther semblait appartenir à son entourage au point de n’avoir aucune volonté propre. Cette première impression fut par la suite défaite alors que Mardochée demanda à Esther d’intervenir auprès du roi. Celle-ci hésita et argumenta avec son cousin. Il sembla alors que seules des menaces de mort la firent plier. À partir de ce moment du récit, Esther cessa d’être la petite fille effacée. Elle prit en main sa destinée et celle de son peuple par la même occasion. Elle incita immédiatement Mardochée à rassembler tous les Juifs de la capitale afin de jeûner pendant trois jours en sa faveur, puis intervint à plusieurs reprises auprès du roi dans le but de sauver son peuple.

L’indépendance d’Esther se manifesta également au travers de la stratégie audacieuse qu’elle élabora en vue d’obtenir la condamnation d’Aman et durant laquelle elle témoigna d’un admirable sang-froid. Elle laissa croire au roi qu’elle lui était toute soumise et ne recherchait que son bien, alors qu’en réalité, elle l’amadoua afin d’atteindre son but plus aisément. Elle refusa même de s’exécuter devant le roi quand celui-ci lui demanda la véritable raison de son action. La reine le fit patienter vingt-quatre heures en lui promettant de révéler sa requête le lendemain. Esther mena son action avec une maîtrise remarquable. C’est elle qui décida quand et comment elle accuserait Aman.

Esther s’illustra par son caractère opposé à celui de Vashti. Toutes deux n’approuvaient pas le roi dans ses décisions, mais Vashti exprima publiquement son désaccord, alors qu’Esther manipula le roi afin d’obtenir ce qu’elle désirait. Vashti fut rejetée pour n’avoir pas voulu accepter l’invitation du monarque, alors qu’Esther obtint régulièrement ce qu’elle désirait. Par certains aspects, Esther s’opposa également au roi. Assuérus était tout-puissant en théorie, restait, en pratique, le jouet des partisans. A contrario, la reine Esther avait peu de pouvoir de par sa fonction (puisqu’elle dépendait du bon vouloir du roi pour s’en approcher) mais, en pratique, elle dominait tout son entourage.

Cette nuit-là, le roi ne put pas dormir. Les pensées d’Assuérus (Xerxès 1er) alors que son sommeil s’égarait, étaient liées à la tension créée par Esther. Son épouse était-elle si fidèle ? Le fils d’Hammedatha l’Agaguite, le grand vizir du royaume méritait-il d’avoir été invité par la reine ? Aman souhaitait-il consciemment ou inconsciemment séduire son épouse, la reine ? La question de la solution finale contre le peuple juif le préoccupait également.

D’un côté, les Juifs lui étaient plus fidèles que les peuples locaux, constamment en quête d’indépendance et le roi pourrait les utiliser au profit de son règne. Les juifs ne réclamaient plus leur indépendance. Ils étaient dispersés à travers le royaume et contre toute attente, peu d’entre eux avaient rejoint Jérusalem lorsque le décret de Cyrus le leur avait permis. Le roi Assuérus (Xerxès 1er) avait d’ailleurs placé les juifs de Yav dans une forteresse à la frontière de l’Égypte et de l’Éthiopie contre les éléments subversifs du sud de l’Égypte, créant ainsi un poste de défense aux portes de l’empire.

D’un autre côté, le roi pouvait également considérer la présence des Juifs « de l’Inde à l’Éthiopie » comme une menace pour le pouvoir, une base de pouvoir alternatif qui pourrait prêter main forte à ceux qui cherchaient à changer de gouvernement de l’intérieur ou à l’éradiquer de l’extérieur. Tous les efforts juifs pour montrer leur loyauté auraient pu être perçus comme faisant partie d’un plan sombre et dangereux.

La première hypothèse a permis à Mardochée d’atteindre son statut au sein du royaume de même que le positionnement de communautés juives telles que celle de Yav dans des endroits stratégiques à travers l’empire. La seconde hypothèse est à l’origine des craintes qui ont soulevé Aman et conduit le roi à soutenir son action.

Bien que la plupart des rois avaient pris le parti de tirer profit des communautés juives du royaume, on craignait toujours qu’ils se retournent soudainement contre le peuple d’Abraham.

Assuérus (Xerxès 1er) avait jusqu’alors « utilisé » les Juifs dans l’intérêt de son règne mais lorsque naissait un désir ou un besoin d’apaiser les conflits locaux, au sud de l’Égypte par exemple, il tranchait aux dépens des Juifs, malgré leur fidélité au gouvernement.

C’est probablement à cela que le roi songeait lorsqu’on lui apporta le livre des annales, les Chroniques de Perse.

On les lut devant le roi et c’est ainsi que lui fut rappelé ce que Mardochée avait révélé au sujet de Bigthan et de Théresch, les deux eunuques du roi, gardes du seuil, qui avaient voulu porter atteinte au roi Assuérus (Xerxès 1er). La réponse est claire, Mardochée le juif est plus que loyal, il l’a prouvé en sauvant le roi. D’un autre côté, le roi s’est engagé aux côtés d’Aman le fils d’Hammedatha l’Agaguite… Qui choisir ? Que décider pour le royaume si tant est qu’il ne soit pas déjà trop tard ? Le roi s’interrogea à ce sujet Jusqu’au festin préparé par la reine Esther en son honneur. La suite nous est bien connue, le roi choisit vraisemblablement la loyauté de Mardochée le Juif aux torts d’Aman soupçonner de lever les yeux vers la couronne. Mardochée reçut tous les honneurs, il fut érigé en héros et promené dans les rues de Suse la capitale, vêtu des habits royaux, sur le cheval du roi par Aman, lui-même obligé à scander 

« C’est ainsi que l’on fait à l’homme que le roi veut honorer ! »

Car ainsi avait décidé le roi, pour le remercier de l’avoir sauvé.

Au second festin organisé par la reine Esther en présence d’Aman, la question fut à nouveau posée par le roi : « Quelle est ta demande, reine Esther ? Elle te sera accordée. Que désires-tu ? Quand bien même il s’agirait de la moitié du royaume, tu l’obtiendrais. »

Elle répondit : « Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, et si le roi le trouve bon, accorde-moi la vie, voilà ma demande, et sauve mon peuple, voilà mon désir ! Car nous sommes vendus, moi et mon peuple, pour être détruits, égorgés, anéantis. Encore si nous étions vendus pour devenir esclaves et servantes, je me tairais, mais l’ennemi ne saurait compenser le dommage fait au roi. » Esther utilise un argument purement économique. Elle sait que le roi a été tenté par la proposition d’Aman à cause de la détresse budgétaire, mais elle fait comprendre au roi qu’Aman a l’intention de tuer des fidèles sujets, des contribuables qui collectent légalement des revenus pour les coffres du roi. Elle dit clairement au roi que si la proposition avait été de devenir esclave, elle se serait tue. Elle le sait, l’argent de la vente aurait coulé dans les coffres du roi, et son chagrin personnel et celui de son peuple n’auraient pas justifié une rupture de l’équilibre budgétaire. Mais en prouvant que les juifs sont des sujets fidèles du royaume perse elle peut argumenter afin qu’elle-même et son peuple soient sauvés. « Nous devons être sauvés, en premier lieu dans l’intérêt des caisses de l’État ! ». Le roi comprit alors qui avait manigancé tout cela mais il voulut l’entendre de la bouche de la reine.

« L’oppresseur, l’ennemi, c’est Aman, ce méchant-là ! » s’écria Esther.

La présence cachée de D.ieu se manifesta par la bouche de l’un des conseillers du roi : Harbona. Il indiqua que Aman avait préparé une potence haute de 50 coudées pour pendre Mardochée qui avait fait du bien au roi.

 « Aman fut pendu à la potence qu’il avait lui-même préparée, et la colère du roi s’apaisa. »

Les fils d’Aman furent également pendus. Les secrétaires du roi furent appelés et un nouveau décret fut rédigé. Ce dernier donnait la permission aux juifs de se rassembler et de défendre leur vie, de détruire, de tuer et de faire périr, avec leurs petits enfants et leurs femmes, tous ceux de chaque peuple et de chaque province qui prendraient les armes pour les attaquer, leur octroyant jusqu’au droit de livrer leurs biens au pillage. On écrivit au nom du roi Assuérus (Xerxès 1er) et l’on scella avec l’anneau du roi puis ces lettres furent envoyées dans toutes les villes et provinces du royaume.

Malgré le nouvel édit royal témoignant du revirement du souverain en faveur des juifs, beaucoup s’entêtèrent à vouloir tuer les juifs. Le D.ieu d’Israël, apparu jusqu’alors, de façon cachée retourna la situation. Les juifs pouvaient à présent participer au miracle de leur sauvetage en affrontant leurs ennemis et en les anéantissant. On compta malheureusement de nombreuses morts avant de venir à bout des ennemis des juifs. «Pour les juifs, ce n’étaient que joie rayonnante, contentement, allégresse et marques d’honneur.» Mardochée entreprit d’écrire toute l’histoire, pour que de générations en générations, l’on puisse se souvenir de ce qu’il s’était passé. Une nouvelle fête fut instaurée dans le judaïsme du nom de Pourim.

La vie poursuivit son cours, le roi Assuérus imposa un tribut aux pays et aux îles de la mer. L’ensemble des faits relatifs à sa puissance et ses exploits, ainsi que les détails de la grandeur à laquelle le roi éleva Mardochée, ne sont-ils pas consignés dans le livre des Chroniques des rois des Mèdes et des Perses ?

Le Juif Mardochée était en effet le premier homme après le roi Assuérus, considéré parmi les Juifs et apprécié de tous, il rechercha le bien de son peuple et veilla à ce que son bonheur soit préservé.

Et après ?

Dans le rouleau d’Esther, l’histoire s’arrêta à ce stade.  La question se pose de savoir ce qu’il se passa ensuite ?

En effet, le dénouement du rouleau d’Esther, n’est pas, a priori celui auquel nous nous attendions…

Après la formidable victoire de la minorité juive sur ses ennemis qui cherchaient à la détruire, nous nous serions attendus à une fin dramatique et pompeuse, à des acclamations de trompette et des battements de tambour, dans la lignée des évènements successifs de l’histoire fascinante du rouleau d’Esther. Et pourtant. La grande richesse du roi ne l’empêcha pas de continuer à imposer ses sujets, à outrance, non seulement dans les villes de campagne mais aussi dans les lointaines «îles».

Comme cela fut prouvé à maintes reprises au cours de l’histoire, y compris dans celle de l’État d’Israël, la complaisance et l’euphorie des jours de victoire entraînèrent une catastrophe sociale, politique et militaire. La société aisée du « lendemain » souffrit de cécité et fonda une société hédoniste et opaque, indifférente à ses maux qui n’avaient pas disparu et grouillaient sous la surface sur laquelle la foule célébrait encore sa victoire.

La fin du rouleau nous rappela donc qu’outre Mardochée le Juif, le second du Roi, surnommé « Michne au roi  et grand pour les Juifs », il y avait encore un roi de Perse et de Mède, qu’il valait mieux ne pas ignorer. À l’issue des jours de fête et de réjouissance vinrent des jours séculiers, parfois des « petits jours », une routine de vie qui devait s’installer.

Malgré l’échec du plan diabolique d’Aman, et sa pendaison ainsi que celle de ses fils, célébrés lors de la fête de Pourim, la haine Amalécite ne diminua pas, bien au contraire : la Hagadah (récit) que nous lisons lors de la fête de Pessah souligne que « ce n’est pas un seul qui se leva contre nous pour nous exterminer, mais à chaque génération, (des ennemis) se dressent contre nous pour nous exterminer et le Saint béni soit-Il nous délivre de leurs mains ». La précision de ce texte écrit, il y a près de 2300 ans, ne fut jamais démentie : chaque génération peut témoigner qu’un ou plusieurs descendant(s) d’Amalec se levèrent pour anéantir le peuple juif.

Les descendants d’Amalec, ne sont pas forcément issus du même peuple et ne partagent pas la même génétique, pour autant, au niveau spirituel ils sont nourris par la volonté intrinsèque d’anéantir le peuple juif. Ceux qui imaginaient qu’Hitler et ses sbires étaient les derniers, découvrent avec horreur qu’Amalec est toujours présent dans le monde, y compris même dans Paris où dans les années 2010/2020, on recense l’assassinat de juifs tués parce que juifs.

Revenons, un instant à notre période de « l’après solution finale ratée », de « l’après avoir déjoué Haman et ses plans de destruction finale », que devinrent Mardochée le Juif et la reine Esther ? Que devint le peuple juif éparpillé dans tout le royaume ?

Certains affirmèrent que Mardochée prit le chemin de la Terre sainte aux côtés de ceux qui partirent dans la prochaine expédition pour Israël, d’autres qu’il resta à Suse, comme second, à diriger l’empire de Perse. La reine Esther, quant à elle, resta la première dame du royaume. Son sacrifice permit de sauver son peuple. Selon les textes de l’époque, il semblerait que le fils qu’elle eut avec Assuérus succéda à son père, à la tête du royaume. Le livre qui porte son nom est lu, jusqu’à nos jours, chaque année, le jour de Pourim, dans toutes les communautés juives du monde et ce, année après année depuis plus de 2300 ans.

Quant aux juifs de Babylone, ils continuèrent longtemps à vivre leur judaïsme, loin de Sion, loin du Temple de Jérusalem : un judaïsme d’exil, ou plutôt de Diaspora. Seul un petit nombre prit le chemin du retour pour continuer à écrire l’histoire telle que l’avaient racontée les prophètes d’Israël.

Sur les bords du fleuve de Babylone, plus personne ne suspendit sa harpe, plus personne ne languit Jérusalem, à présent elle n’était plus qu’un souvenir que l’on récitait lors des jours de prières. Sur les bords du fleuve de Babylone, les juifs de perse oublièrent, peu à peu, Jérusalem…

Haim Berkovits coordinateur Israël is forever